unE malédictioN ?

Publié le par Caroline Gauthier

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Un socle blanc, épuré, trône au cœur de l’espace d’exposition du 

Palais de Tokyo. Vertical, élancé, il n’est a prio
ri ni insolent, ni 

audacieux pour qui a déjà fréquenté l’art conceptuel ou 

minimaliste. Les provocations désormais convenues des œuvres 

d’art contemporaines ont lassé leurs spectateurs qui les 

considèrent d’un œil indifférent. Elles les renvoient aux vases clos 

des discours de l’art sur l’art. Un air de déjà-vu. 


Pourtant, la curiosité est plus forte. Un besoin d’être conforté dans 

sa position pousse le visiteur vers le cartel. Quelle théorie pourrait 

être ici exemplifiée pour cette sempiternelle présentation d’un support faisant œuvre ? 

L’artiste : Tom Friedman ; Son œuvre : A curse. (Une malédiction  en français). 


A compter de cet instant, le cartel fait autorité. Un sort aurait été 

jeté sur ce socle par les soins d’une sorcière et sous la direction de 

l’artiste. 


L’objet-socle change de statut. Il reprend ses fonctions originelles de piédestal fonctionnant tel un 

signal de l’œuvre d’art. Il est le signe qui indique la probabilité de l'existence ou de la vérité d'une 

chose. 

Maléfice ou enchantement, le charme s’incarne, hissé sur son trône. Le vide devient tangible. Une 

place circonscrite au socle est accordée au « non-objet-sort ». Celui-ci peut recouvrir toutes les 

formes ; certains y verront un simple volume quand d’autres projetteront une mini galaxie. L’invisible 

possède cette force de laisser libre court à toutes les projections, les plus intimes, les plus 

innommables. L’artiste ne nous force à rien. La liberté de représentation de notre propre monde est totale : A curse ouvre vers une infinité de possibles. 


L’œuvre vibre, fascine. Elle dérange. Le vide inquiète, il est insupportable. Il est un non-sens quand 

on perçoit le monde selon les limites du temps et de l’espace. A Curse agit donc sur l’humain qui 

préfère recourir au « voir » et à la matière plutôt qu’éprouver le vertige de l’absence absurde. 


Mais qu’en est-il du charme en soi ? Quelle véracité pour celui-ci ? Le doute subsiste.  

La croyance mystique, plus ou moins exacerbée selon les personnes, est un trait archétypal de nos 

sociétés. Qui ne s’est jamais surpris à croire aux charmes des fées ? Pourquoi certains adorent un dieu quand d’autres consultent des voyantes ? Le rapport magique aux choses de la vie, qui nous 

libère du mortifère trou noir, nous façonne aussi en êtres humains. 

L’effectivité du sort n’est cependant jamais avérée puisque ce dernier est ici présenté sur son socle. 

Le visiteur peut le contempler mais il n’est pas contaminé. Or un envoûtement suppose la passivité de 

son destinataire. Il est un déterminisme, une force contre laquelle notre libre-arbitre ne peut rien : une 

personne est toujours victime d’un sort. A l’inverse, dans sa relation à l’œuvre de Friedman, c’est au 

spectateur lui-même qu’appartient la décision de se laisser enchanter ou non. 


La force du charme devient anecdotique ; d’autres croyances sont en jeu. Par le truchement du 

sortilège, Tom Friedman nous amène à éprouver simultanément l’infiniment grand et l’infiniment petit. 

C’est notre rapport au monde qui est bouleversé. Il ne s’agit pas ici de la présentation d’un objet fini, 

mais d’une pièce en perpétuel devenir. L’œuvre excite l’imaginaire de son spectateur qui construit et 

joue sa propre pièce.  

Et si le charme, ici, n’était autre que la magie de l’expérience artistique ? 




Visuel. 

Tom Friedman, A Curse, Malédiction de sorcière et socle. 91,4 x 38,1 x 38,1 cm, 2009.  

Courtesy de l'artiste et de Gagosian Gallery, galerie Bernard Ceysson et Gallery Tomio Koyama. Photo: Justin Kemp  


Publié dans artS plastiqueS

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